mercredi 21 avril 2021

Don Quichotte prophète d'Israël, article de René van Gerdinge (Témoin de la Vie)

(Article de René van Gerdinge, paru dans le Témoin de la Vie, mars 1966).


Chacun sait que Hitler et ses séides n’ont rien eu à inventer, pas plus la répétition du drame napoléonien dans les immensités glacées de la Russie que l’organisation inquisitoriale de persécution des juifs dans ses camps de la mort. Au VIIe comme au XVIe siècle, l’Espagne préparait les dispositions du nazisme. Au nom de la très sainte Croix, les conciles très chrétiens tentaient de faire ce que leur successeur à croix gammée n’aura pas mieux réussi : éliminer le Juif et la juiverie… Autant travailler à la quadrature du cercle.

Il faut entendre par là que si la force et le feu peuvent anéantir mille corps, il reste toujours un cerveau pour faire resurgir de l’horreur et de la nuit l’étincelle de la tradition qui couve sous la cendre. Et quand bien même persécutions et interdits continueraient à peser sur cet ultime rejeton, quand bien même toutes les surveillances s’exerceraient sur son front contraint à la poussière, il trouverait encore moyen de tracer dans le sable en grains de granit, la conviction de son appartenance.

C’est, en partie, ce qu’a voulu démontrer Dominique Aubier, en rédigeant Don Quichotte prophète d’Israël.

Quels éloges dithyrambiques n’a-t-on pas fait de l’œuvre de Cervantès, de quelles épithètes n’a-t-on pas couvert ces « pages immortelles » ! Je dois avouer que ces aventures burlesques m’ont toujours laissé assez froid et que nul enchantement n’est jamais venu chatouiller mes méninges en parcourant les aventures du Chevalier de la Triste Figure. Avec bien du respect, j’interrogeais autour de moi — Ah ! Cervantès, me répondait-on avec ferveur, Ah, son Don Quichotte… — Oui, mais encore ? Je ne suis jamais arrivé à recueillir quoi que ce soit de plus substantiel, même des hispanisants les plus convaincus. Bien sûr, il y a là toute la sève de la Péninsule, la fleur de tant de civilisations entremêlées, une grande épopée héroï-comique, un drame généreux et ironique… Bref, il faut bien de la bonne volonté et peu de sens critique pour tomber en extase.

Mais voici que Dominique Aubier, animée d’un sentiment enthousiaste, nous convie à reconnaître dans ce sommet de la littérature espagnole, un mystère, un ouvrage à clés qu’elle entreprend de décrypter avec bien de l’intelligence, beaucoup d’intuition et un tantinet d’imagination.
Eprise de son sujet, elle a tôt fait de convaincre ses adeptes — car il faut une certaine forme d’adhésion pour la bien lire — que le Quichotte comporte plusieurs étages de lecture ainsi qu’il est dit des hiéroglyphes égyptiens et de la plupart des textes « sacrés ». Tout l’incline à le croire, ne serait-ce que la quantité d’anomalies qui se glissent sous le texte anodin. L’introduction, d’abord, qui se refuse aux habituelles citations et mêle le badin à l’exceptionnel ; les noms, ensuite, des personnages et des lieux qui sont, une fois analysés, déploiement de significations et de suggestions. Et déjà ces premiers mots qui sont comme un clignement d’œil complice aux occultistes : « Dans un village de la Manche dont je ne veux pas me rappeler le nom… »

Eh ! Quoi, s’écrie Dominique Aubier, pourquoi ce volontaire silence ? Quel héraldiste n’entendrait pas les quatre figures qui suivent ? Quel homme pieux ne reconnaîtrait dans la brève perspective culinaire qui vient alors, la déférence des plats sacrés et des mets interdits, des diverses confessions… On doit s’y rendre, le chevalier errant à la triste figure, c’est le juif errant hâve et douloureux sous la persécution, traînant sa grandeur émaciée, son idéal antique et solennel sous le ciel de l’incompréhension des hommes.
A la barbe de la Sainte-Inquisition, Cervantès va faire entrer le Zohar déguisé dans tous les foyers espagnols, et bien au-delà. Sous la persécution triomphante, telle est la revanche de « Don Quichotte prophète d’Israël », nouvel Ezéchiel, grand dévoreur de livres et héros d’une histoire que lui seul comprend… Ou qui se voudra avisé autant que l’est Dominique Aubier.

Pour percer à jour le secret sous la lettre, elle n’a pas hésité à mener à bien l’enquête locale et intellectuelle que requérait son travail. Ne ménageant ni les voyages ni les études, elle s’est plongée comme une abeille dans le pollen de cette fleur mystérieuse et en est revenue tout acclimatée à son parfum, à ses couleurs, débordant de poudre qu’elle ne jette pas aux yeux mais distille avec efficacité. Elle n’a plus considéré la fleur de Cervantès en botaniste ou en jardinier, mais en butineuse avide, consciente qu’elle fut créée pour elle. Cet acte de foi lui ouvre la perspective d’évidences là où nul n’avait jusqu’à ce jour jamais rien discerné que la farce en surface. Et l’on saura distinguer, après lecture de cet ouvrage, sous le Quichotte abstinent de lard, un idéaliste aussi vaillant que les chevaliers de la Table Ronde à la recherche du Saint Graal.

L’auteure dépasse-t-elle la mesure ? Tout, il faut le reconnaître, est ici conjecture, supposition, hypothèses recoupées par des sens orthographiques, des relations de vocabulaire, des associations de pensée, des chaînes ou cascades de sens, mais une seule chose importe dans la conjecture, c’est son efficacité. Si le rendement de l’absurde est valable, c’est que l’absurde est vrai.
Et comment ne pas lire alors dans les rodomontades que Don Quichotte adresse aux muletiers pour les défier, les propos même que la religion en place lance aux fidèles, les menaces de l’Inquisition envers les juifs qu’elle soumet, sous menace de mort à la conversion : « Qu’aucun de vous ne prétende passer outre, s’il ne veut confesser que, dans tout l’univers, il n’y a pas qu’une dame qui égale en beauté l’impératrice de la Manche, l’incomparable Dulcinée du Toboso ». Et aux muletiers qui demandent à en juger, le chevalier de répondre : « L’important est de la croire sans le voir, de le confesser, de l’affirmer, de le jurer, de le soutenir envers et contre tout… »
A côté de ces allégories, Voltaire passe pour un petit garçon.
Il ne s’agissait encore que de conjectures. Lorsque Dominique Aubier fera chanter la Science des nombres sur le canevas de ses interférences, c’est une véritable révélation qui surgira de dessous le masque.

En attendant, elle a su efficacement nous replonger dans l’atmosphère équivoque et bouillonnante de cette Espagne du XVIe siècle où l’on parle encore espagnol, arabe et hébreu, où les lettrés sont ceux que l’on persécute, les interdits qui trouvent mille complicités, se font parjures et renient aussitôt pour passer entre les trames des réseaux ecclésiastiques. Le Juif errant, son Zohar au fond du cœur, y fait son chemin, au maquis de la pensée, caché sous sa salade de carton, défiant les géants agitateurs de bras, et pour moudre quel froment !
Prédicateurs de tout poils, quelle est leur fonction officielle, quelle leur folle exploitation de pouvoirs dénaturés ? Dominique Aubier l’a lu chez Cervantès : « A quoi correspond leur attitude spirituelle ? A celle des moulins dont les ailes captent le vent et ne le retiennent pas. Le vent est un excellent concept prédicable. Les géants ne s’en servent que pour un usage particulier : mouvoir la meule afin d’obtenir la farine. Si le vent symbolise — c’est le cas selon le Zohar — la force cosmique responsable du fonctionnement de l’esprit, on peut soupçonner les géants d’être, aux yeux de l’hidalgo, coupables de n’utiliser le fonctionnement de l’esprit qu’au seul écrasement du blé… »

 

Or, si le grain ne meurt… Et quelle mouture ne vient du Verbe, ce grain vivant, ce Pain de Vie, substance cosmique des enfants de Dieu… On devine les prolongements que l’on peut envisager.
Bien des écrivains ont usé de cette méthode pour donner une signification en profondeur à leurs ouvrages. Jules Verne en était friand et l’exemple de son capitaine Nemo reste célèbre dans les consciences comme le fameux Personne d’Ulysse. A la suite de Freud, plusieurs exégètes sont allés dénicher dans les contes de Perrault même des intentions telluriques secrètes qui transfigurent totalement les histoires pour enfants pourvu qu’on en connaisse la grille. D’autres ont décrypté les sonnets de Shakespeare. En s’attaquant à l’écorce de Don Quichotte, Dominique Aubier avait pour intention première de rejeter « la » vérité que nous avait imposée l’école, l’université, pour s’ouvrir à cette autre compréhension que la vie nous apprend. Bien lui en a pris, car son travail passionné transpose le roman de chevalerie burlesque, cette pierre d’angle de la littérature espagnole, sur le plan d’un trésor spirituel, prophétique même. Il reste à notre exégète à s’en expliquer. Et d’abord à travers la symbolique de l’œuvre dont presque chaque mot couvre un monde. Un exemple encore. La liqueur de Fierabras : « c’est la science biblique, et son herméneutique, qui est servie comme remède à tous les maux à travers les signes qui la symbolisent : huile, vin, sel et romarin — huile d’onction, vin de la connaissance, sel de la grâce et parfums de la doctrine ésotérique. Produits utiles à la formation du disciple et du lecteur. »

On attendait cet interprète sensible et érudit, passionné de signification essentielle. En caressant la pelure de l’œuvre, elle en a dégagé la surface, détaillé l’ossature, les organes ; la voici parvenue au seuil de la vie :
« La prophétie se réalisera quand quelqu’un lira dans les signes, leur donnera la qualité messianique, c’est-à-dire, au sens israélite, la clarté d’expression dans l’évidence de la pensée universelle. Les mystères compris, c’est l’époque messianique promise. Cette époque marquera la fin de l’aventure en laquelle Quichotte est engagé… Nous ne doutons pas d’avoir rencontré dans le Quichotte une étape hiéroglyphiquement contrôlée et mesurée de la Descente du Verbe. L’appareil prodigieux que constitue ce livre en tant qu’il reçoit la somme de la connaissance ésotériste et la transfuge dans la conscience universelle sans que celle-ci y prenne garde demande, pour être vu, qu’un prodigieux travail de commentaires le réadosse au plan culturel sur lequel il s’appuie. »

Or, si ce travail se trouve précisément amorcé, si le prophète voit ses secrets percés à jour de si vaillante manière, c’est que les temps messianiques sont venus. A quoi sert le prophète s’il ne doit être compris ? Son œuvre garde son mystère scellé jusqu’à ce que l’Esprit qui l’a dictée suscite un cœur attentif pour plonger en son mystère et en déceler la signification, en exprimer les vérités secrètes.
Par sa passion pour l’œuvre de Cervantès, Dominique Aubier s’est affirmée, faisant la jonction des siècles, ce complément du prophète, cette seconde phase qui ne surgit qu’à l’Heure des réalisations.
De Torquemada à Eichmann, il n’y a pas eu de solution de continuité. Mais les deux noms marquent deux étapes capitales qui sont suivies, l’une du nom de Cervantès, l’autre de celui de Dominique Aubier. Le recoupement est fait, l’œuvre décryptée. L’Heure messianique a sonné qui doit être considérée non plus en fonction d’un regard sur le passé alourdi de mort, mais vivifié par l’essor en la Lumière en voie d’accomplissement.

Cela, l’auteure l’a confusément pressenti, mais, sans le conjecturer plus avant, sans exiger surtout de le rendre tangible intensément. Aussi son ouvrage s’achève-t-il sur des points de suspension qui engagent une suite que l’on attend* ouverte directement sur l’Enseignement de Dieu et non plus balbutiant sur l’empirisme tâtonnant d’un pressentiment mal assuré. Nous saurons alors si Dominique Aubier est de ceux qui se laissent griser par le vertige des idées et des mots ou bien si son interrogation était sincère** quand elle écrivait : « Pour que les mystères s’expliquent, il faut une tête initiée au degré du siècle qui est le nôtre. Où est cette tête ? La redescente de l’esprit vivant est nécessaire. C’est ce que demande Cervantès à la fin de son deuxième volume par l’épisode de la Tête Blanche, tête raisonneuse, tête savante, tête parlante à la condition qu’un homme de chair et de savoir occupe la statue vide qu’elle est, posée sur la table, posée à l’avance par l’esprit prophétique annonçant que le secret sera dit par la bouche humaine, comme si la statue n’était là que pour représenter l’homme inconnu qu’avec le temps Dieu suscitera pour prendre place avec son esprit, à l’endroit prévu pour la réponse »
« Tête prévisible, elle existera. Esprit concevable, il naîtra de la maturation des siècles. Opération mentale nécessaire, elle attendra du temps qu’il lui crée des conditions nécessaires à sa réalisation. Le temps de cette Tête capable viendra. Son apparition est dans l’ordre inéluctable des choses de l’esprit. Cet ordre est connu des initiés. La connaissance de cet ordre régit l’espérance messianique. Espoir qualifié, Don Quichotte l’éprouve. »

L’espérance, c’était au siècle de Cervantès. La réalisation, c’est aujourd’hui. Or cette plénitude de l’Esprit qui pense l’accomplissement intégral, voilà ce que Dominique Aubier doit vouloir entendre et reconnaître si elle veut non seulement connaître la réponse, mais, essentiellement, porter les fruits. Elle a été elle-même l’instrument d’une première esquisse.
Il faut, à présent, s’intégrer dans le mouvement d’ouverture. C’est là que l’aventure devient merveilleuse. En vérité inouïe. C’est là que nous l’attendons***.

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Note de l’éditeur :
*Suite pleinement réalisée dans la série exégétique de 5 ouvrages que Dominique Aubier consacre au Quichotte et dans son livre l’Ordre cosmique.

**Sincérité assumée et prouvée au regard de l’ensemble de son œuvre.

*** C’est là que nous l’attendons, et c’est bien là qu’elle s’est rendue, pourrons-nous certifier, au vu de l’œuvre accomplie.

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Don Quichotte prophète d'Israël

traduit en espagnol sous le titre :

Don Quijote profeta y cabalista

Toute la série exégétique de Don Quichotte


 


mardi 6 avril 2021

Le Salut viendra des Juifs… Plaidoirie pour une cause gagnée.

« Le Salut viendra des Juifs »

(Plaidoirie pour une Cause gagnée)

Dominique Aubier

Propos recueillis par Liliane Roskopf

Article paru dans le Journal de Genève le 10 janvier 1970


La pensé juive : cette pensée convient admirablement à la contestataire que je suis… (Dominique Aubier)



Dominique Aubier intitulerait volontiers sa vie : « recherche d'un nouvel humanisme ». Par là, elle se rallie à la préoccupation majeure de notre temps mais, en même temps, elle fait figure d'outsider. Après quarante ans de réflexion, elle parvient à une certitude de l'esprit à partir de laquelle elle commence à écrire son œuvre : douze volumes, dont deux sont déjà parus aux Editions du Mont-Blanc, « Le Cas juif » et « De l'Urgence du Sabbat », œuvre dont on peut dire qu'elle est stupéfiante.

Son but : donner cohérence au savoir universel. Le moyen : s'approprier la pensée juive. Pourquoi ? Dans le judaïsme, il y a toujours une démarche abstraite et synthétique qui se révèle maintenant d'une utilité capitale pour le monde. Qu'il n'y ait pas de malentendu, ce n'est pas parce que les Juifs ont retrouvé un Etat que leur « mission » peut enfin se dévoiler, c'est parce que le progrès de l'esprit scientifique en a besoin. L'auteure propose ainsi dans le modèle juif un mode d'emploi de la pensée. Les thèses de Dominique Aubier ont le mérite de vouloir donner une explication synthétique du monde, mais on est dérouté en lisant cette femme qui n'est pas juive — ou qui l'est plus que nous — par un « prosémitisme » extrême qui risque de faire encourir à son œuvre, surtout après l'horreur de la Shoah, le reproche de « racisme » à l'envers…


Liliane Roskopf : Je vous demanderai tout d'abord, Dominique Aubier, de nous expliquer le titre général que vous avez choisi pour les douze livres que vous projetez, « Plaidoirie pour une cause gagnée »…

Dominique Aubier : Ce titre est essentiel. Je vous répondrai, commençant à l'envers, de droite à gauche, comme les Hébreux. Pourquoi gagnée ? Parce que la pensée juive est maintenant celle dont le monde a besoin. Toutes les cultures sont utiles certes, mais alors que toutes sont des éléments de l'analyse du monde, seul le judaïsme, pensée plus abstraite, représente l'élément de synthèse. Or l'état des connaissances actuellement a besoin d'une synthèse, et, puisque nous la trouvons dans la culture juive, eh bien servons-nous en. La cause est gagnée et pourtant je plaide, parce qu'une pensée n'existe réellement que si nous l'exposons, si nous l'explicitons.

L.R. : Donc vous vous sentez une mission ?

Dominique Aubier : Certainement. Mon livre n'est pas un livre personnel. C'est le problème de l'humanisme occidental qui est en question, l'apport du judaïsme, important pour l'Occident, qui est présenté dans un langage moderne.

L.R. : Les Juifs ont étudié dans nos universités, ont participé à la culture occidentale. D'où vient l'étanchéité que vous prêtez à leur culture ?

Dominique Aubier : Etanchéité parce que pendant deux mille ans les Juifs ont dû garder secrète leur mission afin de la sauvegarder, la transportant d'une génération à l'autre jusqu'au moment où ils devraient la révéler. Ce moment, ils savaient qu'il viendrait, ils l'ont appelé temps messianiques (le mot ne doit pas faire peur) et maintenant, ils sont venus. Je me suis permis cette audace en commençant à écrire : juger le moment comme convenable pour révéler le sens juif. Ainsi, l'étanchéité de leur culture était liée à une fonction de communication ; maintenant que la communication peut se faire, l'étanchéité doit disparaître.

L.R. :  Est-ce qu'un Juif non religieux participe à la mission juive ?

Dominique Aubier : Qu'un Juif soit religieux ou non, qu'il pratique ou pas, il reste juif, lié à une fonction évolutive de l'esprit qui tend vers la synthèse des connaissances. Dans ce sens, religieux ou non, les Juifs sont à la pointe de l'évolution. Ce n'est pas une supériorité, c'est un mécanisme évolutif qui s'est trouvé fixé chez eux, par un raisonnement collectif.

L.R. : Qu'est-ce qu'être juif ? Une conscience ?

Dominique Aubier : Oui, c'est une conscience à laquelle, d'ailleurs peuvent participer des non-juifs. Mais les Juifs, eux, ont l'obligation, la responsabilité de cette conscience.

L.R. : Mais cette conscience, ne la retrouvez-vous que dans le Sabbat ? N'existe-t-elle pas dans le vendredi musulman, dans le dimanche chrétien ?

Dominique Aubier : Je ne vois pas de séparation entre ces trois religions, elles ont la même origine, le même but. Les Juifs ont seulement un « privilège » dans le temps.

L.R. : Dieu est indispensable dans votre pensée ?

Dominique Aubier : Tant mieux si les gens ont la foi en un Dieu créateur, car la foi est une jubilation de l'esprit. Tant pis s'ils ne l'ont pas, car la rigueur scientifique les mènera au même point que la religion : chercher à comprendre le mécanisme du monde.

L.R. :  Vos livres se veulent scientifiques, mais ils paraissent ésotériques parfois…

Dominique Aubier : C'est le mot, mais dans un sens que je tiens à préciser. Le judaïsme n'a jamais été contemporain de l'âge (plus jeune) de nos cultures. Il fut toujours plus « âgé ». Quand vous parlez à un enfant, vous semblez ésotérique. De la même manière, mes livres, qui portent le sens juif, sont ésotériques. Mais maintenant, nous sommes contemporains des Juifs, et l'ésotérisme devrait disparaître.

L.R. : Ne craignez-vous pas de choquer en soulignant cette différence de maturité entre les cultures ?

Dominique Aubier : Pourquoi ? C'est une évidence qu'il y a disproportion dans les cultures. Notre culture scientifique a trois cents ans, la culture juive a six mille ans ; notre notion de progrès est récente, et il se pourrait que nous soyons étonnés de la retrouver, cachée, dans la culture juive antérieure.

L.R. :  Pour conclure… Quel fut votre cheminement intellectuel ?

Dominique Aubier : Vous savez, j'illustre cette phrase qu'Albert Béguin adorait :  « Je suis allé où je ne savais pas que la vie me menait. » J'ai commencé par écrire des romans, et c'est ainsi que je suis tombée sur Don Quichotte. J'ai remarqué que la symbolique de ce livre s'appuyait sur un savoir que j'ai découvert être celui de la pensée juive séfarade ; cette pensée convenait admirablement à la contestataire que je suis depuis trente ans et je crois qu'elle convient au monde. Et puis, un secret infiniment simple a guidé ma vie : je n'ai jamais pensé qu'un être fût plus sot que moi, ou qu'une culture fût supérieure à une autre. Mais j'ai intensément ressenti à quel point toutes choses sont liées entre elles. Entre les êtres, les cultures, les pensées, je vois une immense complémentarité.
 
 
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Plaidoirie pour une cause gagnée (série de 3 livres)