mardi 21 février 2023

La différence entre philosophe, Maître et Initié… par Dominique Blumenstihl-Roth

La différence entre philosophe, Maître et Initié…

Par Dominique Blumentihl-Roth


Les Maîtres
La philosophie est actuellement à la mode. Il y en a autant qu'il y a de philosophes et autant de philosophes qu'il y a de professeurs enseignant cette discipline. Cependant,
un docteur d'État en philosophie n'est pas (nécessairement) un initié. Le plus souvent c'est un penseur développant des thèses, théories, opinions… à l'intérieur d'un système de pensée plus ou moins cohérent. Quant à savoir si cela aide à vivre et si sa philosophie est en mesure de se confronter au réel…
De même un traducteur de textes anciens ou historien de la kabbale n'est pas nécessairement kabbaliste… Et loin s'en faut. Scientifique étudiant l'histoire de ce domaine, son savoir ne pénètre pas nécessairement les fondements doctrinaux. Il les observe, les décrit : mais les secrets de la Connaissance ne s'ouvrent pas à qui les observe de l'extérieur. Il faut, pour y accéder, posséder Le sceau de compétence. Ce manque a été cruellement ressenti par l'immense chercheur que fut Gershom Scholem à qui nous devons tant de textes sauvés de l'oubli et de manuscrits retrouvés.
De même un prélat, bien qu'il fasse corps avec sa tradition, n'est pas nécessairement un initié. Il est un officier du culte dont il connaît par cœur les modalités. Intuitivement, il participe à la Connaissance en style ancien et symbolique. Il agit en Niveau 2, là où règne la perception symboliste. C'est le niveau atteint par les religions. Au mieux, certains officiants accèdent au Niveau 3, celui de la représentation allégorique. Mais accéder sens est une autre affaire. En connaître la clé et en percer le secret en Niveau 4 relève d'un autre domaine de… compétence. C'est une question d'investiture. Donc une chose rare.

Est appelé Maître tel érudit ayant lu tous les livres et ayant passé des nuits blanches à en sonder les secrets. Les a-t-il ouverts, ces secrets ? Il s'entoure d'élèves et enseigne. Il redonne ce qu'il a reçu. C'est une noble tâche. Est également Maître celui qui a engrangé la compétence dans un domaine particulier. On peut être maître charpentier, maître forgeron. Le Maître, dans la Connaissance, peut être initié pour lui-même, et il peut enseigner son expérience autour de lui. Mais attention, aucune vaporisation filandreuse n'est acceptée. Il doit exposer un dévoilement clair et puissant, construit dans les règles et selon la loi même qu'il prétend enseigner. Mais il y a plus : le Maître n'est un Initié véritable que s'il ajoute une « lumière sur lumière » (je cite ici volontairement la sourate coranique Ya-Sin, pour montrer que c'est une notion qui ne se limite pas à la kabbale hébraïque. C'est un concept universel).

Il faut donc, chez les Maîtres, distinguer les fonctions et les grades.
— les Maîtres enseignant ce qu'ils ont reçu : c'est-à-dire qu'ils assurent la continuité du Système, à différents niveaux selon leur propre compréhension. Ils sont actifs en Lamed.
— Les Maîtres récapitulant tout ce que leurs prédécesseurs ont pu mettre au point. Ils collectent, rassemblent et établissent en quelque sorte l'inventaire du patrimoine patiemment édifié. Ils agissent en Qof. Parmi eux, je salue chaleureusement le kabbaliste Vedhyas Virya. J'apprécie son honnêteté intellectuelle et ses efforts pédagogiques destinés au grand public. Il a conçu un tour d'horizon de la kabbale hébraïque si bien documenté que l'on peut y puiser quantité d'informations tirés de la tradition.

J'ai tant de respect pour lui qu'il ne m'en voudra pas que je reste sur une réserve pour deux raisons: la première est que son enseignement n'actualise pas le propos… mais sans doute n'est-ce pas sa mission : il est un expert scrupuleux de l'archéologie kabbalistique. Je dirais même qu'il est l'un des meilleurs auteurs ayant rassemblé les textes anciens. Mais il n'a pas intégré l'actualisation de la déferlante post-zoharique qu'avance Cervantès par Don Quichotte et en ce sens, il n'est pas allé jusqu'au bout de son travail de recension. De même il ne raccorde pas ses travaux à une claire compréhension du Motif Cortical de référence. La deuxième réserve que je me permets d'émettre, en toute estime pour ses éminentes recherches, concerne son enseignement des techniques de guérison par l'approche kabbalistique.

Je veux bien croire qu'il ait reçu mandat de l'Invisible pour exercer, à titre personnel, cet art délicat de la réparation kabbalistique. Mais (Grand Dieu !) pourquoi vouloir l'enseigner à des apprentis qu'il espère pouvoir hausser à son propre niveau en deux ou trois séminaires. La volonté de soigner part d'un sentiment généreux, d'un altruisme sincère.
En excellent traditionaliste connaissant son Maïmonide, il possède certainement les dons et connaissances propres à aborder certaines pathologies. Mais l'enseignement de cet art ne peut se donner qu'à des esprits déjà formés, expérimentés, rompus à la Doctrine ayant intégré toute l'explication du Modèle d'Absolu et le Code des Archétypes clairement identifiés. Aborder le corps et l'esprit de la personne souffrante est une épreuve délicate… pour le soignant : il lui faut une modestie immense devant la douleur de l'Autre, une capacité d'écoute exceptionnelle, et la lucidité d'établir un diagnostic pertinent. C'est affaire de Connaissance érigée au plus haut degré. Et cela suppose que soit fait mention du Modèle Cortical. La technique kabbalistique, reposant sur la science des Lettres, la Science de la Structure d'Absolu, exige précision, actualisation et une extrême capacité de lecture des signes reportée sur la grille de Lecture.
Si la Médecine classique demande au moins neuf années d'Université, la Connaissance quant à elle exige au moins 22 années d'apprentissage. À moins d'être bénéficiaire d'une révélation absolue, immédiate : dans ce cas, une seconde de temps suffit, une seconde comprimée au cours de laquelle tout le savoir de 3000 ans de tradition s'inocule dans l'être désigné, récipiendaire d'une science « venant de plus loin ». Et cela ne s'acquiert pas au cours d'un stage de formation… Une investiture particulière de l'Invisible est nécessaire, dépassant la petite attestation ou certificat de présence à un séminaire

Suis-je trop sévère ? C'est possible.
À la demande expresse de médecins désemparés devant certaines pathologies, mon Maître avait accepté de les aider à dresser des diagnostics imparables et à mettre au point, avec eux, des procédures réparatrices en agissant sur la circulation de l'énergie entravée par des traumatismes. Elle avait secondé tel chirurgien réalisant des greffes en lui expliquant les lois de la polarité, et tels psychanalystes surent affiner leurs thérapies en intégrant les critères de La Face cachée du Cerveau.
Cependant, pour ce qui me concerne, n'ayant ni la modestie et l'humilité requises, pour rien au monde je ne me permettrais d'enseigner quoique ce soit touchant au potentiel médical des techniques kabbalistiques. Je me refuse d'y toucher car je crains trop de commettre des erreurs et de compromettre la santé des personnes. Quant à les enseigner, c'est trop dangereux, à mon sens, de distribuer à tout vent des secrets aussi puissants au tout venant prétendu thérapeute qui non seulement n'intégrera qu'approximativement la leçon, mais appliquera sur ses patients des insuffisances voire des erreurs pouvant conduire au désastre.

L'Initié
Les Initiés ne retranchent ni ne diluent. Ils ajoutent. Ils alimentent la Tradition, permettant aux Maîtres d'intégrer ces nouveautés qui accroissent, grâce à eux, la densité de leur enseignement.
Raison pour laquelle le Maître a l'obligation de toujours citer la source inspiratrice : réflexe exigible car oublier de mentionner la source revient à ignorer l'Origine, partant, de substituer l'égotisme à la reconnaissance de l'Informateur. Par extension : nier le Créateur.

L'Initié devient « fontaine »
Il ne reste pas « citerne » réceptrice. Il est chargé de puiser, augmenter, distribuer.
À l'image de Rebecca qui tira de l'eau de la fontaine pour abreuver le serviteur envoyé par Abraham en quête d'une épouse pour son fils, l'initié se signale autant par sa capacité de puiser l'eau de la Connaissance que sa puissance à la transporter et la partager. L'eau n'est pas versée directement depuis la Fontaine vers le nécessiteux : elle est tout d'abord puisée et coulée dans un récipient, une cruche. Rebecca la porte sur ses épaules. Elle est le récipient accueillant l'eau, la structure porteuse et vectrice de la Connaissance qui, sans elle, serait liquide insaisissable.
C'est pourquoi le Zohar précise : « Les mots "la jeune fille qui va puiser de l'eau et à laquelle je dis : donne-moi un peu d'eau de ta cruche" signifient : Donne-moi un peu de ton savoir. » Ce qui signifie que Rebecca était une initiée de tout premier rang qui sut ajouter à ce qu'elle avait appris le fruit de sa réflexion et de son expérience bien comprise. C'est le contenu même de la cruche — son savoir — que sollicite Éliézer et non pas l'eau directement issue de la fontaine. Elle l'abreuve d'une Connaissance actualisée et interprétée répondant à la situation. Ce que confirme le Zohar (vol. I, éd. Maisonneuve et Larose, p. 207-209) : « "Et elle me dit : bois", signifie : toi aussi tu es le serviteur de Dieu ; je n'ai pas confondu ta science avec la Connaissance du Saint, béni soit-il, et tu dois bien comprendre que tu es un être créé comme moi. "Et je puiserai aussi pour tes chameaux", c'est-à-dire : j'ai acquis un degré de connaissance auquel tes compagnons n'ont pas atteint… »
Le degré de Connaissance atteint par Rebecca s'affirme supérieur à ce qu'Éliézer a pu apprendre et retenir auprès d'Abraham, en ce que cette eau de la cruche c'est « la sagesse qu'on acquiert dans ce monde en cherchant à connaître son Maître. » Avec Rebecca il y a actualisation, application de la Connaissance sur la génération suivante. C'est en ce sens que j'ose parler de « supériorité », non pas qualitative eu égard à la perfection abrahamique, mais dans un rapport temporel où les générations nouvelles construisent leur propre compréhension de l'Absolu perfectionnant la perception de la génération antérieure.
À l'épandage de la révélation  — la Rosée — Rebecca ajoute un apport personnel, la forme et le contenu de sa cruche remplie d'eau puisée de la fontaine. Elle en devient elle-même Fontaine, cruche et dispensatrice de l'enseignement : « ces gouttes de rosée viennent du Jardin de l'Eden… » (Zohar I, op. cit. p. 703.)

Pourquoi je raconte l'histoire de Rebecca ? Parce qu'elle me paraît emblématique d'une attitude remarquable qui mériterait d'être imitée. À chacun(e) de nous d'imiter Rebecca : elle sut reconnaître le messager, l'accueillir et le suivre. C'était Éliézer, le serviteur d'Abraham qui emmena la jeune femme vers Isaac dont elle devint l'épouse. Ensemble, ils forment la nouvelle génération fondatrice de la lignée des prophètes d'Israël dont chacun a ajouté son hiddouch, sa trouvaille.
 
L'Initié ne répète pas ce que les autres ont déjà raconté avant lui et mieux que lui. L'Initié connaît le Modèle d'Absolu. Le Code des Archétypes. Il sait les faire jouer pour lui-même et dans son action, autour de lui. Il n'enseigne pas nécessairement. Tout dépend de sa place et position dans le cycle. C'est pourquoi on pourrait parfois lui reprocher (quand on les connaît) de rester excessivement en retrait et de laisser la parole aux ignorants qui ne manquent jamais de pérorer (parfois même en sa présence) et d'embrouiller les esprits.
Les initiés savent que rien n'est statique dans un univers où tout est énergie. Ils connaissent la règle voulant que les potentiels soient toujours déposés, actualisés…
Ils sont responsables de concevoir (si possible divulguer) une part nouvelle, ce que l'on appelle, en kabbale : un « hiddouch » qui sera leur « sceau de compétence ».
On appelle « hiddouch » une nouveauté propre à valoriser une avancée puissante de la Connaissance. Ne pas confondre avec telle ou telle application pratique de l'acquis. Ou avec la paraphrase de la leçon ancienne.
— Des maîtres-répétiteurs de la Loi ancienne, il y en a beaucoup.
— Des maîtres-commentateurs de commentaires déjà commentés : il y en a plein.
— Des fantaisistes interprétant les Textes selon leur orientation psychologique : ils sont nombreux.


Mais des Maîtres initiés véritables, des « Fontaines » c'est chose rare. Si rares que d'aucuns prétendent qu'il n'y aurait pas…
Et cependant, leurs actes sont déposés. Ces Initiés agissent dans la discrétion. Leurs actes, leurs écrits ont des répercussions fortes. Ils agissent en « Qui Sait ». Et par Échange latéral, l'énergie se déporte en « Qui Fait » ainsi l'impact de leur parole ou acte symbolique s'inscrit dans le réel… sans que l'on sache exactement où se situe l'informateur initial.
Par exemple quand Jérusalem devient capitale d'Israël en Qui fait, il faut se demander : où est l'initié qui a, par un acte symbolique, par un écrit, déclenché le processus en agissant en Qui Sait, après avoir lui-même reçu l'impulsion d'une information issue de l'Invisible… C'est ce que le taoïste appelle le « Non-Faire » qui en réalité se traduit pas un « Faire » maximal…
— Où se cachent les Initiés de ce monde agité ? 
— Où se trouvent les véritables acteurs de la salvation ? Comment les reconnaître ?