mardi 19 novembre 2019

Contrôle douanier avec Dominique Aubier et Don Quichotte…

Contrôle douanier avec Dominique Aubier… 
et Don Quichotte.
par Dominique Blumenstihl-Roth

Y a-t-il une philosophie espagnole, s'interrogeait Miguel de Unamuno. — Oui, se répondit-il : celle de Don Quichotte. Non seulement philosophie, mais art de vivre et de penser.

Plus d'une fois j'ai pu le vérifier en Andalousie où je résidais avec mon Maître, à Carboneras, dans la province d'Alméria. Pour y aller, depuis Paris, soit nous prenions la voiture et descendions vers le grand Sud d'une traite, deux mille kilomètres de route, soit nous empruntions le train. A l'époque, la SNCF proposait des services auxquels elle a dû renoncer, afin de pouvoir financer la politique coûteuse du « tout TGV » largement responsable des déficits chroniques de la société. On pouvait alors faire charger la voiture en gare d'Austerlitz, sur des wagons spécialement adaptés, voyager dans le même train jusqu'à Madrid et récupérer le véhicule à l'arrivée, le lendemain matin, en gare de Chamartin. On arrivait frais et dispos à Madrid, après une nuit passée sur les rails, dans une cabine confortable bien équipée (pour le Maître) ou sur une couchette plus spartiate en compartiment de six places. Je n'étais nullement gêné de dormir en compagnie d'inconnus qui prenaient le train de nuit. On laissait son passeport au contrôleur, lors du départ, et on le récupérait à l'arrivée. La voiture, déchargée, nous attendait sur le quai, devant le service des douanes. L'Espagne n'avait pas encore rejoint la Communauté économique européenne et continuait de contrôler ses frontières, quand bien même la démocratie avait succédé à l'emprise franquiste depuis une dizaine d'années.
Les douaniers étaient scrupuleux. Ils me demandèrent d'ouvrir le coffre. La voiture étaient remplie de livres, un ordinateur tout neuf — Dominique Aubier venait d'acquérir l'un des tout premiers Macintosh à usage personnel —, une imprimante, des affaires personnelles. Compte tenu du nombre important d'ouvrages et de cet objet insolite qu'était un ordinateur, le douanier estima qu'il y avait là une importation de marchandises devant faire l'objet d'une déclaration et d'une taxe rehaussée d'une amende. Il demanda au Maître ce qu'elle faisait de tous ces ouvrages. Elle lui répondit qu'elle était écrivain — escritora — et que c'était là son outil de travail. Qu'étant résidente en Espagne, munie d'une carte de séjour en règle, cela lui permettait non pas d'importer, mais de transporter chez elle des ouvrages sans lesquels elle ne pourrait écrire. Le douanier, soudain curieux, lui demanda :
— Mais quel genre de livres écrivez-vous ?
— Des livres auxquels vous ne comprendrez rien, répondit-elle, expéditive.
Dominique Aubier s'impatientait du retard que nous prenions, car une longue route nous attendait encore pour gagner l'Andalousie. Quelques 600 kilomètres, dont certaines portions, à l'approche de Carboneras, étaient encore difficiles d'accès par une route qui longeait les précipices sur des falaises en bord de mer. Il fallait arriver avant la nuit. Elle souffrait alors des hanches, d'une coxarthrose qui lui rendait pénible la station debout prolongée.
Un collègue du douanier, visiblement un gradé, s'approcha et demanda ce qui se passait. Il fallut recommencer les explications. Non, ce n'était pas une importation. Non, ces livres ne sont pas destinés à la vente. L'ordinateur est un outil de travail, car voyez-vous, je suis Escritora, répéta le maître.
— Et quel genre de livre écrivez-vous ? Même question, même réponse : rien qui ne saurait vous intéresser. Le chef douanier : — Et qu'en savez-vous, Madame, si cela m'intéresse ou non ? — J'écris des livres sur la Connaissance, reprit-elle. La sabiduria. Las cosas sagradas. J'écris un livre sur l'universalité des cultures, des civilisations, sur l'identité du Motif d'Absolu, tel qu'il est donné dans Don Quichotte.
Il y eut un étrange silence sur le quai de gare. Les deux policiers échangèrent un regard. Et soudain, renversement. Le gradé reprit :
— Vous écrivez sur Don Quichotte, et vous nous dites que nous ne serions pas intéressés ? Et que nous ne comprendrions pas ? Il n'y a pas d'Espagnol, madame, qui se désintéresse de Don Quichotte. Et si vos écrits parlent du sacré sous la bannière du chevalier, je ne puis dire qu'une chose : vous êtes la bienvenue en Espagne.
En moins d'une minute, les passeports furent cachetés, tamponnés, signés. Barrière ouverte, nous avons traversé Madrid en un rien de temps et sommes arrivés à destination sans difficulté. Dominique Aubier a raconté d'autres événements frontaliers du même ordre, toujours sous l'égide de Don Quichotte, toujours significatifs et protecteurs, où l'énoncé du nom « Quichotte » à lui seul résorbait les difficultés. Il était indubitablement le passeur garantissant la sécurité de notre voyage.
Ces événements vécus méritent-ils d'être intégrés dans une exégèse de Don Quichotte ? A mon sens oui, dans la mesure où les faits réels sont à eux-mêmes des commentaires assistant et appuyant la recherche. L'événement est à lui-même exégétique. Je ne crois pas au détachement de l'observateur face à la chose observée, mais à l'énergie que déclenche l'implication du chercheur agissant sur l'objet de sa recherche, ce dernier lui répondant, se mettant à sa portée à mesure de l'engagement pris. Aussi Don Quichotte se livre-t-il progressivement à qui s'y adonne. A qui se donne la liberté de poser les pas dans les pas des découvertes déjà réalisées, utilisant les clés de lecture qui en ouvrent les secrets. Le trousseau hébraïque accompagnera tout chercheur moderne qui s'engagera dans la caverne de Montesinos.
On ne peut plus étudier le chef d'œuvre de Cervantès en se contentant de la sempiternelle répétition analytique du langage littéral. Celle-ci a été si largement accomplie — et brillamment — par Diego Clemencin (1765-1834) que ce type de prospection, forant sur un territoire désormais surexploité, ne remonte plus la moindre goutte du sens. Une toute nouvelle procédure de recherche s'impose, intégrant la dimension prophétique du Quichotte, au-delà de l'attention littéraire qu'on a bien voulu lui porter. Tant pis si les académies vacillent : c'est le propre de Don Quichotte qu'affronter les institutions. Il les soumet à la révolution intellectuelle, au séisme du renouveau, par les sources hébraïques et araméennes qu'il convoque au décryptage de sa pensée…

Tous les livres et films de Dominique Aubier sont disponibles sur le site de l'Auteure.

Série Exégèse de Don Quichotte
— Victoire pour Don Quichotte ;
— Don Quichotte prophète d’Israël ;
— Don Quichotte, le prodigieux secours ;
— Don Quichotte, la révélation ;


El Secreto de Don Quijote, film de Raùl Rincon, RTVE, avec Dominique Aubier (en espagnol et option soutitrage anglais).
 
Le blog dédié à Don Quichotte :
https://don-quichotte-for-ever.blogspot.com/