mardi 6 avril 2021

Le Salut viendra des Juifs… Plaidoirie pour une cause gagnée.

« Le Salut viendra des Juifs »

(Plaidoirie pour une Cause gagnée)

Dominique Aubier

Propos recueillis par Liliane Roskopf

Article paru dans le Journal de Genève le 10 janvier 1970


La pensé juive : cette pensée convient admirablement à la contestataire que je suis… (Dominique Aubier)



Dominique Aubier intitulerait volontiers sa vie : « recherche d'un nouvel humanisme ». Par là, elle se rallie à la préoccupation majeure de notre temps mais, en même temps, elle fait figure d'outsider. Après quarante ans de réflexion, elle parvient à une certitude de l'esprit à partir de laquelle elle commence à écrire son œuvre : douze volumes, dont deux sont déjà parus aux Editions du Mont-Blanc, « Le Cas juif » et « De l'Urgence du Sabbat », œuvre dont on peut dire qu'elle est stupéfiante.

Son but : donner cohérence au savoir universel. Le moyen : s'approprier la pensée juive. Pourquoi ? Dans le judaïsme, il y a toujours une démarche abstraite et synthétique qui se révèle maintenant d'une utilité capitale pour le monde. Qu'il n'y ait pas de malentendu, ce n'est pas parce que les Juifs ont retrouvé un Etat que leur « mission » peut enfin se dévoiler, c'est parce que le progrès de l'esprit scientifique en a besoin. L'auteure propose ainsi dans le modèle juif un mode d'emploi de la pensée. Les thèses de Dominique Aubier ont le mérite de vouloir donner une explication synthétique du monde, mais on est dérouté en lisant cette femme qui n'est pas juive — ou qui l'est plus que nous — par un « prosémitisme » extrême qui risque de faire encourir à son œuvre, surtout après l'horreur de la Shoah, le reproche de « racisme » à l'envers…


Liliane Roskopf : Je vous demanderai tout d'abord, Dominique Aubier, de nous expliquer le titre général que vous avez choisi pour les douze livres que vous projetez, « Plaidoirie pour une cause gagnée »…

Dominique Aubier : Ce titre est essentiel. Je vous répondrai, commençant à l'envers, de droite à gauche, comme les Hébreux. Pourquoi gagnée ? Parce que la pensée juive est maintenant celle dont le monde a besoin. Toutes les cultures sont utiles certes, mais alors que toutes sont des éléments de l'analyse du monde, seul le judaïsme, pensée plus abstraite, représente l'élément de synthèse. Or l'état des connaissances actuellement a besoin d'une synthèse, et, puisque nous la trouvons dans la culture juive, eh bien servons-nous en. La cause est gagnée et pourtant je plaide, parce qu'une pensée n'existe réellement que si nous l'exposons, si nous l'explicitons.

L.R. : Donc vous vous sentez une mission ?

Dominique Aubier : Certainement. Mon livre n'est pas un livre personnel. C'est le problème de l'humanisme occidental qui est en question, l'apport du judaïsme, important pour l'Occident, qui est présenté dans un langage moderne.

L.R. : Les Juifs ont étudié dans nos universités, ont participé à la culture occidentale. D'où vient l'étanchéité que vous prêtez à leur culture ?

Dominique Aubier : Etanchéité parce que pendant deux mille ans les Juifs ont dû garder secrète leur mission afin de la sauvegarder, la transportant d'une génération à l'autre jusqu'au moment où ils devraient la révéler. Ce moment, ils savaient qu'il viendrait, ils l'ont appelé temps messianiques (le mot ne doit pas faire peur) et maintenant, ils sont venus. Je me suis permis cette audace en commençant à écrire : juger le moment comme convenable pour révéler le sens juif. Ainsi, l'étanchéité de leur culture était liée à une fonction de communication ; maintenant que la communication peut se faire, l'étanchéité doit disparaître.

L.R. :  Est-ce qu'un Juif non religieux participe à la mission juive ?

Dominique Aubier : Qu'un Juif soit religieux ou non, qu'il pratique ou pas, il reste juif, lié à une fonction évolutive de l'esprit qui tend vers la synthèse des connaissances. Dans ce sens, religieux ou non, les Juifs sont à la pointe de l'évolution. Ce n'est pas une supériorité, c'est un mécanisme évolutif qui s'est trouvé fixé chez eux, par un raisonnement collectif.

L.R. : Qu'est-ce qu'être juif ? Une conscience ?

Dominique Aubier : Oui, c'est une conscience à laquelle, d'ailleurs peuvent participer des non-juifs. Mais les Juifs, eux, ont l'obligation, la responsabilité de cette conscience.

L.R. : Mais cette conscience, ne la retrouvez-vous que dans le Sabbat ? N'existe-t-elle pas dans le vendredi musulman, dans le dimanche chrétien ?

Dominique Aubier : Je ne vois pas de séparation entre ces trois religions, elles ont la même origine, le même but. Les Juifs ont seulement un « privilège » dans le temps.

L.R. : Dieu est indispensable dans votre pensée ?

Dominique Aubier : Tant mieux si les gens ont la foi en un Dieu créateur, car la foi est une jubilation de l'esprit. Tant pis s'ils ne l'ont pas, car la rigueur scientifique les mènera au même point que la religion : chercher à comprendre le mécanisme du monde.

L.R. :  Vos livres se veulent scientifiques, mais ils paraissent ésotériques parfois…

Dominique Aubier : C'est le mot, mais dans un sens que je tiens à préciser. Le judaïsme n'a jamais été contemporain de l'âge (plus jeune) de nos cultures. Il fut toujours plus « âgé ». Quand vous parlez à un enfant, vous semblez ésotérique. De la même manière, mes livres, qui portent le sens juif, sont ésotériques. Mais maintenant, nous sommes contemporains des Juifs, et l'ésotérisme devrait disparaître.

L.R. : Ne craignez-vous pas de choquer en soulignant cette différence de maturité entre les cultures ?

Dominique Aubier : Pourquoi ? C'est une évidence qu'il y a disproportion dans les cultures. Notre culture scientifique a trois cents ans, la culture juive a six mille ans ; notre notion de progrès est récente, et il se pourrait que nous soyons étonnés de la retrouver, cachée, dans la culture juive antérieure.

L.R. :  Pour conclure… Quel fut votre cheminement intellectuel ?

Dominique Aubier : Vous savez, j'illustre cette phrase qu'Albert Béguin adorait :  « Je suis allé où je ne savais pas que la vie me menait. » J'ai commencé par écrire des romans, et c'est ainsi que je suis tombée sur Don Quichotte. J'ai remarqué que la symbolique de ce livre s'appuyait sur un savoir que j'ai découvert être celui de la pensée juive séfarade ; cette pensée convenait admirablement à la contestataire que je suis depuis trente ans et je crois qu'elle convient au monde. Et puis, un secret infiniment simple a guidé ma vie : je n'ai jamais pensé qu'un être fût plus sot que moi, ou qu'une culture fût supérieure à une autre. Mais j'ai intensément ressenti à quel point toutes choses sont liées entre elles. Entre les êtres, les cultures, les pensées, je vois une immense complémentarité.
 
 
Tous les livres de Dominique Aubier
Tous les films de Dominique Aubier
 
Plaidoirie pour une cause gagnée (série de 3 livres)






Aucun commentaire: