lundi 22 février 2021

Le Mystère de Don Quichotte, par François Sonkin (paru dans l'Express)


Le Mystère de Don Quichotte
Article de François Sonkin,
paru dans l'Express du 31 janvier 1966

par Dominique Aubier
Ce livre a été réédité aux éditions Ivréa/Gallimard en 2013
 
 


 L'essai de Dominique Aubier constitue une tentative tout à fait originale de pénétration dans le mystère du Quichotte. Au début de son livre, elle feint de s'agacer de la mauvaise foi de Cervantès, qui tente d'amoindrir le lecteur par un prologue et en le désoccupant (« desocupado lector » : j'aurais préféré traduire le mot « desocupado » par disponible). C'est abasourdi par sa liberté toute neuve que le lecteur rencontre Don Quichotte et Sancho Panza, essayant de confronter leur idéal avec le monde. Mais Dominique Aubier ne se laisse pas prendre par ce stratagème ; elle veut nous démontrer que les aventures du Quichotte ne sont que les aventures vécues du Verbe.
Le chevalier vit ses lectures tout comme le prophète Ezéchiel prêche le peuple juif d'essayer de vivre selon la révélation de Moïse. Réinsérant le Quichotte dans l'Histoire, Dominique Aubier démontre, d'une façon parfois convaincante, que ces aventures, poir les initiés kabbalistes, ne sont que le moyen, dans l'Espagne de l'Inquisition, de faire survivre secrètement le Verbe parmi les Juifs persécutés.

Dulcinée
Les exemples ne manquent pas pour défendre cette thèse : Dulcinée n'est autre que la Shekka, femme du roi. (ndlr : Dominique Aubier écrit plutôt : La Schékina, fille du roi). La Mancha (la Tache en espagnol) qui doit être effacée appelle la pureté. Don Quichotte est le Juif errant. Sancho est l'homme à l'état brut qui reçoit la parole révélée par le prophète Quichotte. Le Talmud a été brûlé six fois, comme les livres de l'ingénieux Hidalgo. C'en est presque trop et nous doutons de cet occultisme. Mais cette méfiance ne dure pas et nous sommes bientôt séduits par la haute voltige des petits signaux.

Les petits signaux s'accumulent et on relit Don Quichotte à l'affût de révélations secrètes, de très menus symptômes. On devient soupçonneux à chaque ligne. Ainsi, la lettre Z sur laquelle bute Cervantès, dans Le Curieux malavisé, n'est autre que le Zohar, et le Zohar, c'est le livre de la Kabbale, le livre secret comme Don Quichotte est le livre inexplicable pour ceux qui n'ont pas reçu la lumière. Nous voilà devenus des cervantistes kabbalistes et cela, ma foi, n'est pas désagréable du tout. Le combat contre les moulins à vent contient une allégorie et même plusieurs, dont je vous laisse le plaisir de la découverte. Quant à l'Hidalgo, il lutte peut-être pour tenter de concilier les trois religions qui occupent l'Espagne à cette époque.
Don Quichotte, cette espèce de roman autobiographique dissimulé dont Georges Lukacs fait le type du roman démoniste (cf : La Théorie du roman, éd. Gonthier), n'est-il pas tout simplement la forme romancée et mystique du Zohar ?

Cette folie douloureuse
Les moulins à eau qui effraient tant Don Quichotte et Sancho nous ramènent à l'eau, symbole primordial pour les Juifs : Don Quichotte, en effet, ne les attaque pas. Enfin, pour achever de nous séduire et nous communiquer des dons de voyance, Dominique Aubier nous élucide les « acrobatiques appellations de ce fou ». Quixada, Quixana et Quixote. La lettre X est le pivot qui divise chacun de ces noms en deux partie. « Ote » signifiant le secret, « ana » les choses, et « Qui » et « Que » correspondant à « Ma » et « Mi », les deux grandes interrogations hébraïques. Don Quichotte n'est-il pas le roman de l'inquiétude ?

Dominique Aubier a-t-elle résolu le problème du Quichotte ? Ce n'est pas impossible. En tout cas, si elle ne persuade pas les « cervantistes » traditionnels, elle peut leur donner envie de devenir des kabbalistes ; cette situation de voyante extralucide n'a rien de désagréable. Mais que Don Quichotte soit ou non un prophète déguisé et Cervantès un kabbaliste de génie, ils retiennent la grande question, celle du sort de l'homme, alternante conversation de l'espoir entre Sancho, Don Quichotte et tous les autres ? Don Quichotte est un des grands livres qui permettent à l'homme d'échapper à sa condition.
Cette tentative d'explication rationnelle du Quichotte ne m'a pas modifié. J'ai relu les aventures de ce merveilleux homme avec les mêmes joies, les mêmes émotions qu'avant mon initiation, j'ai retrouvé intact le Don Quichotte de l'enfance et le Don Quichotte de l'adulte, j'ai retrouvé intact mon refuge dans cette folie douloureuse et étonnée, dans ce défi permanent, dans cette utopie inquiète. Don Quichotte reste pour moi le bon sens et l'envie de vivre révélés à la plus grande profondeur.

François Sonkin, 
pour L'Express
 
 
La suite de Don Quichotte prophète d'Israël :
 

 
 
 

lundi 15 février 2021

Message aux Lecteurs et Lectrices de Dominique Aubier…

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mercredi 10 février 2021

Le secret de Don Quichotte. Par le prof. André Chouraqui

Le secret de Don Quichotte 
Par le prof. André Chouraqui
A propos du livre Don Quichotte prophète d'Israël, de Dominique Aubier


« Loin, loin, solitaire dans la plaine ouverte d'Espagne, la grand figure de Don Quichotte se projette comme un gigantesque point d'interrogation : il est sur son chemin comme l'un des gardiens du secret de l'Espagne… », écrit l'un des plus grands philosophes Espagnol, Ortega y Gasset.

Des milliers d'études ont été écrites afin d'arracher au point d'interrogation légendaire de son secret. Don Quichotte, l'hidalgo représentant l'Espagne s'est tu et n'a pas dévoilé son secret. On continue à lire le récit de ses aventures avec le sentiment que nous demeurons en-dehors, sans la possibilité de pénétrer jamais dans la plus profonde des chambres de ce palais verrouillé dont on a perdu la clé.

Dominique Aubier, femme de lettres, a recherché — et trouvé — la clé perdue. Elle est convaincue que les contemporains de Cervantès connaissaient cette clé.  « Ce récit est si clair qu'il n'y a aucune difficulté à le comprendre », avait dit Don Quichotte à propos de ses propres aventures.

Dominique Aubier a cherché à connaître le secret de Don Quichotte et nous informe que ce secret est mystique. Avec prudence et un courage audacieux, elle n'hésite pas à déclarer que Don Quichotte est un livre prophétique. 25 siècles après Ezéchiel et dans des conditions semblables — exil et menaces, lot du peuple choisi à l'époque de l'Inquisition — le célèbre chevalier se tient sur la route brillante d'Israël. Pendant des générations, les chrétiens avaient cru que Salomon Ibn Gabirol était un philosophe de leur religion et l'ont souvent affirmé jusqu'à ce que le savant français Salomon Munk (1803-1867) identifie le « fonce vitae » latin comme la traduction du livre d'Ibn Gabirol et prouve que le fameux Aviceron des chrétiens était juif.

 

Ainsi Dominique Aubier dévoile le secret de Don Quichotte comme une allégorie tragique des Juifs d'Espagne. Elle se base sur la littérature du livre célèbre afin d'arriver à des conclusions d'allusions, allusions ésotériques. Pour elle, don Quichotte symbolise le peuple juif et constitue une personnalité semblable à celle d'Ezéchiel. Dès lors que Cervantès, marrane et donc descendant d'une famille juive ne pouvait s'exprimer librement dans un pays livré à la férule de l'Inquisition, il aurait choisi de parler derrière le voile de l'allégorie : la bataille de Don Quichotte symbolise celle du peuple juif contre les ombres et l'idolâtrie de ce monde.

Dominique Aubier donne en exemple la lutte célèbre de Don Quichotte contre les moulins à vent comme une claire allusion à la lutte du judaïsme contre la théologie inquisitoriale, et de même Don Quichotte sort de ce combat blessé, battu, ainsi le peuple juif est-il battu, blessé en ce siècle de fer.

Dominique Aubier est née en 1922, dans le Sud de la France, à Cuers, en Provence, dans une famille chrétienne extrêmement modeste. Bénéficiant d'une bourse d'Etat, elle put faire ses études à Nice d'où elle rejoignit la Résistance, à Grenoble, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle sait ce que « résister » veut dire. Tout en dévoilant l'histoire de Don Quichotte, elle nous trace le chemin de sa vie, car elle a appris l'hébreu et l'araméen afin de pouvoir lire le Zohar dans le texte et comparer sa méthodologie à celle de Don Quichotte. Dominique Aubier présente devant tout le peuple d'Israël — celui de la Gola (exil) comme celui d'Israël — une question centrale et décisive quant à notre résurgence nationale : allons-nous devenir un petit peuple bourgeois ne rêvant que de réussites matérielles, de réfrigérateurs et d'automobiles ? Ou bien renouvellerons-nous l'aventure juive dont la particularité est enregistrée dans l'Histoire de notre peuple depuis les temps bibliques, jusqu'à la résurrection de l'Etat d'Israël en 1948 ?

 

André Chouraqui



Don Quichotte prophète d'Israël, éd. Robert Laffont, réédition 2013, Ivréa-Gallimard.

Victoire pour Don Quichotte.



vendredi 5 février 2021

Don Quichotte et la Kabbale. Par André Billy, de l'Académie Goncourt

Don Quichotte et la Kabbale

Par André Billy, 
de l'Académie Goncourt
Article paru dans LE FIGARO 
du 16 mai 1966

Pour faire mesurer au lecteur la profondeur de mon ignorance en ce qui concerne Cervantès et Don Quichotte, je commencera par un aveu. Je m'étais toujours figuré que les moulins à vent, contre lesquels Quichotte fonce la lance au poing, représentaient des ennemis imaginaires. Partir en guerre contre des moulins à vent, je croyais que cela voulait dire s'en prendre à des menaces illusoires. Eh bien ! Il paraît que le sens du fameux épisode de Don Quichotte, ce n'est pas cela. Dominique Aubier, qui connaît le livre immortel comme sa poche, m'a appris que les moulins à vent symbolisent les puissances établies. Elle écrit, au premier chapitre de Don Quichotte prophète d'Israël : « Si sensé qu'il soit, le bon sens, quand il déconseille de lutter contre les moulins, ne pense pas aux moulins. Il pense aux puissances établies. Il ne faut pas lutter contre les puissances établies. Elles sont trop puissantes, ce en quoi le sens commun ne se trompe pas. En vertu de quel pacte accepte-t-il que les puisses établies soient symbolisées par des moulins ? » Dominique Aubier ne nous fournit pas de réponse à cette question. Il semble qu'il y ait pour elle un mystère des moulins à vent ; il lui néanmoins évident que ceux-ci représentent les pouvoirs, tous les pouvoirs. Elle a cherché confirmation de sa thèse dans les principaux commentateurs contemporains : Etienne Burnet, Hartzenbusch, Rodriguez Marin, Miguel de Unamuno, Salvador de Madariaga, Ortega y Gasset, David Rubio ; elle ne l'y a pas trouvée.

Son essai sur Don Quichotte est passionnant. Il n'est rien de moins que la démonstration d'une vérité jusqu'alors ignorée de tous les lecteurs de Don Quichotte, et qui n'a pas lu Don Quichotte, ce livre profane promu du consentement universel au rang de sacré ? La découverte de Dominique Aubier n'est donc rien de moins que sensationnelle : Don Quichotte a une clé et cette clé est — qui l'aurait cru ? — dans le Zohar.
Le manuscrit dont Cervantès dit avoir besoin pour continuer son récit, après l'épisode du Biscayen, est le manuscrit du Zohar, livre clandestin en ce temps-là. A la lumière de cette explication, toutes les obscurités de Don Quichotte se trouvent résolues. Désormais, nous pouvons lire Don Quichotte en clair.

Je donnerai en exemple de la façon dont Dominique Aubier conduit son exégèse des moulins. A l'état pur, le blé représente la connaissance principale telle que la Bible la communique. A l'état de pain, il symbolise la connaissance développée, telle que le Talmud l'enseigne. A l'état de gâteau, il suggère de concevoir un développement plus exquis de la connaissance à assimiler. Dans les trois cas, le blé est assimilable par l'esprit. Par rapport au blé, les moulins sont les instruments d'une première transformation : ils servent à réduire le blé en farine. La farine sert à la préparation du pain et des gâteaux etc.
Mais l'exégèse de Dominique Aubier ne porte pas seulement sur l'épisode des moulins. Elle s'applique aussi entre autres à celui du Manchois et du Biscayen, ce dernier étant supposé jésuite. La position théologique de Saint Ignace n'avait rien de secret au XVIè siècle, en Espagne mais, remarque Dominique Aubier, celle de Cervantès nous est inconnue. Entre le Biscayen jésuite et le Manchois chevalier, l'adversaire principal est absent. Mais Don Quichotte est peut-être une biographie mystique de Cervantès.

Dominique Aubier a publié, il y a deux ans, Deux Secrets pour une Espagne où elle nous révélait l'influence considérable qu'a eue le judaïsme sur la culture espagnole, influence d'autant plus profonde que l'Inquisition l'obligeait à se cacher. De cette influence, le livre récent de Dominique Aubier sur Don Quichotte nous apporte une démonstration étonnante dont le but est de nous apprendre à lire le livre de Cervantès. Mais elle seule pouvait le lire ainsi, car elle lui a consacré sa vie ; c'est pour le mieux comprendre qu'elle est allée s'établir dans un village d'Andalousie. C'est pour s'initier à la psychologie espagnole des campagnes, la plus raffinée qui soit, dit-elle. La civilisation moderne ne l'a pas encore gâtée et elle rejoint par sa subtilité celle des vieux talmudistes.

On me rendra peut-être cette justice que je n'ai jamais marqué une excessive sympathie d'esprit à l'ésotérisme. Pourquoi donc ai-je éprouvé le besoin de signaler à mes lecteurs le considérable essai de Dominique Aubier sur la part qu'eut la kabbale juive dans l'inspiration de Don Quichotte ? C'est d'abord parce que Don Quichotte prophète d'Israël m'a frappé par son imprévu et sa nouveauté. C'est aussi peut-être et surtout, à cause de vieux souvenirs que la Kabbale éveille en moi. Qu'on se rassure, même au temps de ma folle — si peu folle ! — jeunesse, je n'ai jamais été kabbaliste, mais un de mes meilleurs amis, mort il y a quelques années, l'était ou du moins, catholique libéral au demeurant, il s'intéressait à la Kabbale et tant qu'historien des idées et curieux de toutes les choses de l'esprit. Il a publié sur la kabbale deux énormes bouquins débordant d'une érudition fantastique, auxquels il avait consacré plus de dix ans de sa vie. Il s'appelait Paul Vulliaud et il était déjà l'auteur, en 1923, d'un essai sur La pensée ésotérique de Léonard de Vinci. Sans espoir, j'ai cherché dans La Kabbale juive, une mention, aussi fugitive fût-elle, de Cervantès et de Don Quichotte. Comme je m'y attendais, le cher Vulliaud ignorait que Cervantès eût été kabbaliste. C'était probablement, en matière de Kabbale, la seule chose chose qu'il ignorait. Je me suis contenté de relire, ces jours-ci, le chapitre des son livre relatif aux kabbalistes chrétiens. Vulliaud n'est pas éloigné de croire que Duns Scot et saint Thomas d'Aquin avaient été peu ou prou initiés au rabbinisme. Pour Pascal, il est plus affirmatif. On m'épargnera d'entrer dans les détails. Vulliaud consacre tout un chapitre au kabbalisme de Spinoza. Il y cite un article de L'Univers israélite de 1851 où le philosophe de l'Ethique est traité d'audacieux plagiaire et de charlatan, copiste du Zohar, renégat au rabbinisme et traître à la foi de ses ancêtres. Après Spinoza, c'est Leibniz et d'autres, moins célèbres, que Vulliaud soumet à son examen. Il est sévère pour les Hassidim auxquels, après les Tharaud et documenté comme eux par Moïse Twersky, j'ai consacré une suite romanesque et pour qui la kabbale n'était plus que le prétexte d'une vie idolâtrique, un ensemble de croyances superstitieuses abêtissantes. Vulliaud regrettait qu'aucun de nos éminents professeurs ne se fût consacré à l'étude du hassidisme. Le pauvre Twersky en avait été la victime.

Mais nous voilà bien loin de Dominique Aubier et de son passionnant Don Quichotte prophète d'Israël. J'en ai trop peu parlé, mais son analyse ne pourrait se faire sans une aridité que le journalisme quotidien exclut.

André Billy