Qu'est-ce que l'Europe ?
Quel est son avenir ?
Dominique Aubier répond aux questions de M. Sacha Horowitz, concernant l'Europe, son sens, sa vocation. (Archive 2004)
Qu'est-ce que l'Europe ?
A mes yeux, c'est une superstructure politique composée d'Etats, de nations ayant chacune leur unité linguistique et leurs chartes internes, qui cherchent à s'organiser en entité d'englobement avec des moyens et à partir de concepts qui reflètent l'état d'esprit de ceux qui l'ont voulue. Il n'est pas certain que le rêve qui, il y a moins de cent ans, a engendré l'Europe réponde aux besoins de la puissance qui doit s'élever dans la réalité. Mais c'est l'éternel problème de l'adaptation à la nouveauté. Sur quels automatismes s'invente-t-elle tandis que son curseur change de place dans le cours d'une progression ? Il serait bon de les connaître. Le savoir officiel en la matière est loin d'apporter les éléments d'intelligibilité nécessaire.
Qu'est-ce qu'être européen pour chacun d'entre nous ou pour vous personnellement ?
Etre européen, c'est se reconnaître une citoyenneté d'englobement super-nationale, définie par les conventions qui fondent actuellement le statut spécifique de l'entité Europe. Pour moi, cette adhésion à ce qui est ainsi institué n'est qu'une étape provisoire à laquelle je ne prête pas longue vie…
L'Europe est-elle monothéiste ? Chrétienne ? Gréco-romaine et donc païenne ? Latino-celto-slavo-germano-anglo-saxonne ? Quelle place donner aujourd'hui à ces différentes composantes, datant de la préhistoire à l'ère contemporaine ?
Le passé offre un patchwork de différences inconciliables qui traînent derrière elles les méfaits : guerre, révoltes, conflits, situation détestable à laquelle a voulu répondre le principe fondateur de l'Europe, par là où, mettant en quelque sorte tous les anciens ennemis dans le même panier, il les contraint à pacifier leurs rapports. C'est un point de vue pratique qui a sa part de réalisme. Aucune négociation même bien menée n'abolira jamais les arrière-pensées qui surgissent sur les lieux mentaux des conditionnements anciens. Le problème est de ne pas les présenter et c'est là le hic : l'Europe n'a pas fait sa psychanalyse et la culture rationaliste, rayon et moyeu de sa roue de fortune, n'est pas équipée pour réussir la performance. Nous sommes en face d'une obligation de surélévation de synthèse que nous n'avons pas les moyens intellectuels d'opérer. Il faut en prendre conscience et pour cela accepter, peut-être, des instructions autres que celles qui nous laissent gros jean comme devant.
L'identité européenne est-elle une question de passeport ? De valeurs ? De racines ? De terroirs ? D'ascendance ? D'adoption ? Dans quelle mesure chacune de ces conditions sont-elles nécessaires pour être européens ? Qu'en est-il des communautés et individus d'origine non européenne ou juive ?
Mieux vaut avoir un passeport européen, ne serait-ce que pour détenir un document qui symbolise le niveau d'appartenance au statut de synthèse (mot valise mais il a sa commodité) qui doit être celui de la psyché européenne. Je considère comme tout à fait irréaliste la négation des cercles de détermination qui font socle sous un individu. Les emboîter l'un dans l'autre me paraît l'unique manière de les assimiler, pour cela il faut que l'individu renonce à grossir et cancériser une de ces ondes. Elles doivent agir en lui pour soutenir son être et l'enrichir en vue d'une effusion qui sera fort utile à l'ensemble si elle est vécue dans le registre de la vitalité devant surgir au plan où la modernité inventerait une manière de pensée adaptative.
Ce nouveau mode de penser — à créer, mais il est concevable — devrait sublimer sans peine les enracinements dans les couches de diversification qui font, qu'on le veuille ou non, la géologie de l'être. Mes livres en témoignent, un appareil de lecture psychologique équipe ma pensée qui me rend fascinante la rencontre de tout individu particulier : je me règle pour lui parler sur ce que je vois qu'il apporte et j'essaie de l'amener à partager ce type de lucidité. Je n'y réussis pas toujours mais j'obtiens de bons résultats, plus souvent qu'on ne serait tenté de le croire a priori, tant il est vrai que le réel pense en nous au présent de l'indicatif et il n'est d'attitude meilleure que se laisser faire par la pensée que la Vie et le Temps mettent à l'ordre du jour.
Un effort de synthèse qui aurait la dimension anthropologique voulue ne verrait aucun obstacle dans une origine non européenne, pour autant qu'elle soit d'un partenaire à la même hauteur de réflexion. Pour ce qui est du judaïsme, je pense qu'il est un des éléments essentiels dans la révision des idées et des acquis devant aider à constituer une vision de l'Homme dans la Nature et de l'Esprit dans l'Histoire qui réponde à la sollicitation actuelle du Temps.
Quel rôle les Européens peuvent-ils jouer aujourd'hui dans le monde et dans leurs propres sociétés, à titre individuels, afin de stimuler une démarche collective vers l'essentiel ?
C'est la question-clé. Il faut d'abord qu'une élite se détache du consensus qui gère actuellement les idées, dans nos sociétés démocratiques devenues des paniers à crabes, singulièrement en France. La chance, ce serait que quelques individus se regroupent, parmi ceux qui sont capables d'échapper à la sinistrose de l'autosatisfaction nationale, en ayant le courage de quitter le scaphandre mental de leur propre ego. Des entretiens sérieux peuvent être conduits, même à la télé, à condition que le meneur de jeu ne soit pas éternellement un de ces esprits-scorpions dont les mœurs récentes de la presse et de la communication censurée ont aiguisé les pinces. Il ne serait pas difficile de faire un montage de portraits, comme il y en a pour les fous rires, délivrant l'image fondatrice de ces états d'affirmation critique et malveillante dont les mesures de rétorsion, rapides et brèves comme des morsures, font échouer les discussions. Trop souvent le régisseur qui sélectionne l'image passant à l'antenne coupe la parole à quelqu'un qui s'apprêtait à sortir du convenu, du convenable, du conventionnel, ayant lui aussi le réflexe toxique du scorpion.
Quant à la chance, puisque ce mot m'est venu à la bouche, je la vois dans la situation qu'a créée le discours du président Jacques Chirac, sur la primauté de la laïcité dans nos sociétés avancées (décembre 2003). A mon sens, l'importance de sa prestation n'a pas été mesurée à hauteur de sa juste et audacieuse vibration. Une onde a soudain traversé le temps, séparant les bruits et les fureurs du passé d'un climat possible, dans un régime de pacification immédiatement vivable. Toute une chaîne d'effets feront peu à peu jurisprudence, modifieront du tout au tout les rapports des individus avec l'état d'esprit que l'effort de synthèse doit constituer et qui ne peut s'élever qu'à l'abri d'une laïcité absolue. La laïcité, c'est l'air respirable pour toute intelligence cherchant à dépasser le marasme faussement civilisateur qui trouble les consciences, dans l'humanité actuelle. La laïcité est le seul principe méthodologique qui permette l'expression des idées touchant aux particularismes, aux instincts grégaires, aux arguments tricheurs qui font tampon entre les êtres et les groupes, à supposer que quelqu'un accepte d'en dire la vérité.
J'y suis, quant à moi, toujours disposée, convaincue de faire que la synthèse obtenue parle à ma place, en bouche de vérité universelle comme celle dont on dit qu'à Rome elle mord la main des menteurs. Je n'en parlerais pas sottement par anticipation se cet outil de pensée n'était constitué. La Face cachée du Cerveau, dès sa première parution en 1989, a procédé au relevé de synthèse des valeurs prônées par toutes les traditions. Les règles apparues concordent pleinement avec les descriptions cérébrales de la Science. C'est, en deux tomes, l'ouvrage de la réunification des esprits. Il aurait pu agir depuis lors, si l'étroitesse de la pensée unique ne l'avait bâillonné. Mais peu importe. La troisième édition paraît en ce moment. Elle s'offre à point nommé, dotant ceux qui veulent comprendre de la documentation nécessaire. Le filtrage accompli est suffisant pour autoriser, partout dans le monde, le surplomb de lucidité qui mettra la paix dans les consciences sans les obliger à perdre le goût de leurs affinités. Avec ce livre, l'avenir a son billet de loto. A la France, à l'Europe, à ses intelligentsias, d'en faire le lot gagnant pour enrichir l'esprit du monde.
Les ouvrages de Dominique Aubier sont disponibles sur le site de l'Auteure.
— La Face cachée du Cerveau, 4ème édition
— The Hidden face of the Brain (traduction en anglais).
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