Don Quichotte. Prophète d’Israël
Par Dominique Aubier (*)
La relation entre l’Espagne et le peuple juif, entre l’hébraïsme et
l’hispanité est sans conteste d’une grande complexité, comme une
attraction-répulsion avec, en point d’orgue, la tragédie infinie que fut
l’Inquisition et l’expulsion des Juifs.
A travers le marranisme, la judéité fait désormais partie intégrante du corpus
national espagnol. Au point que le prix Nobel de littérature, José Camillo Cela
n’hésitait pas à affirmer : « Aujourd’hui, après l’Etat d’Israël, l’Espagne est
probablement le pays du monde où les Juifs sont les plus nombreux. Seulement,
ils ne sont pas de religion juive. Pourquoi ? Parce que lorsqu’Isabelle le Catholique
a expulsé les Juifs, seule une minorité a émigré. La majorité s’est convertie. Elle
est ici, parfaitement intégrée »(1). C’est à la recherche des traces de cette judéité
perdue que sont lancé, souvent avec bonheur, des chercheurs passionnés. Ainsi,
Sarah Leibovici, dans une magnifique et pertinente étude, nous montra, nous
démontra, études de courriers et analyses iconographiques à l’appui, la judéité
incontestable de Christophe Colomb (2).
Dans la reprise qui mérite d’être signalée, de son ouvrage fondamental (3),
Dominique Aubier cherche, avec conviction et en présentant des arguments tout à
fait recevables, à établir une corrélation entre le roman de Cervantès (4) et
l’hébreu. Pour elle, il ne fait aucun doute que l’ouvrage, désormais grand classique
de la littérature espagnole et fleuron du patrimoine culturel mondial, est structuré
selon un plan précis qui épouse la fameuse représentation kabbalistique des
sephirot.
Tout cela peut sembler incroyable, inouï, mais à la lecture des pièces rapportées
par la défenderesse de cette thèse au tribunal de la vérité, on reste subjugué. Est-
on en présence d’une découverte scientifique sensationnelle ? Tout porte à le
croire. Tout au long des pages, Dominique Aubier multiplie les exemples.
Pourquoi, par exemple, la marmite de l’hidalgo, ne contient-elle que du bœuf et
du mouton, alors que la viande de porc est la plus consommée en Espagne ? «
Que le couvercle d’une telle marmite fût soulevé par quelque familier de
l’Inquisition et l’hidalgo eût été passible d’une dénonciation ». Et si, la nuit,
discrètement, l’hidalgo se régale d’un salpicon, le mot est suspect, car le porc n’y
est pas mentionné et c’est peut-être de la grive ou du merle. Salpicon, d’ailleurs,
saupiquet en français, signifie littéralement « piqué de sel ». Or, fait remarquer
Aubier, en espagnol, comme en hébreu, le mot « sel » a un double sens. Il
désigne aussi l’esprit, la grâce. On imagine l’auteur, si la théorie d’Aubier est
juste, réfléchissant au choix de chaque mot, de chaque situation, de chaque
scène, pour camoufler le sens caché sous un abord anodin. Quant au plat du
samedi « duelos y quebrantos el sabado », les traducteurs imprudents proposent :
« œufs au lard » là où la traduction littérale dit : « deuils et brisures », ce que les
Juifs mangent, faute du cochon obligatoire, le samedi.
Par delà ces considérations culinaires qui ne sont que mise en bouche, l’auteur en
vient à dresser un parallèle surprenant entre don Quichotte et Ezéchiel. Et ce nom
même, Quichotte, qui se termine par le suffixe « Ote », lequel, en hébreu, renvoie
à « signe, marque de secret ». N’est-ce pas troublant ? Et pourquoi, l’hidalgo
invoque-t-il constamment le « Dieu vivant », une façon très juive de s’exprimer ?
Ce ne sont là que quelques exemples. Il faut aller au livre même, notamment aux
chapitres « La haute voltige des petits signaux », « Le livre du secret » et « Les
quatre parties du monde », pour découvrir l’infinie variété des coïncidences
troublantes que l’auteur met en évidence en nous invitant à une « lecture
zoharique de « don Quichotte ».
Au fait, quand on y pense, de Caballero à Cabbale, la distance lexicographique
n’est pas si grande !
Un ouvrage remarquable et précieux. Dont le prix élevé se justifie s’agissant d’une
œuvre exceptionnelle tout à la gloire de l’Esprit.
Jean-Pierre Allali
(*)Éditions M.L.L. - La Bouche du Pel. 280 pages. 54 € port compris pour toute
destination : MLL@dbmail.com
(1) Le Figaro du 27 août 1997
(2) Sarah Leibovici. Christophe Colomb Juif. Défense et illustration. Editions
Maisonneuve et Larose. 1986
(3) L’édition originale de l’ouvrage, parue chez Robert Laffont, date de 1966.
(4) On ne le sait pas toujours, mais le nom complet de l’auteur est Miguel de
Cervantès Saavedra (1547-1616)
http://www.crif.org/?page=sheader/detail&aid=9888&artyd=8